I ) Présentation de la ferme et de l'agriculteur
A ) Trois générations d'agriculteurs : Emmanuel Vandame représente la troisième génération d'agriculteurs sur ces terres :- Le grand-père possédait 60 vaches laitières, des chevaux de traie, une distillerie pour faire de l'alcool de betterave. La ferme comprenait plus de 300 ha.
- Le père qui avait alors des terres très fertiles, a commencé à faire du blé ce qui était très rémunérateur. Il a donc été en mesure de vendre ses vaches et chevaux, et d'arrêter les betteraves, dont la mécanisation n'était en ce temps là pas au point.
Aujourd'hui c'est l'inverse, les betteraves sont très rémunératrices. Le père a donc pu racheter tout le corps de ferme, la transformer, et la louer, ce qui lui a permis de garder deux salariés jusqu'en 1996.
-Emmanuel Vandame reprend la ferme en 1997. Une partie des bâtiments de la ferme a été reconvertie, et accueille des corps de métiers différents.Avec sa femme, ils ont constaté que les investissements étaient tellement colossaux pour reprendre une ferme céréalière, qu'ils ont décidé de travailler en partenariat avec la ferme de Villetin (Jouy en Josas), sur la partie céréalière uniquement, car l'entraide est indispensable pour diluer l'amortissement du matériel sur une grande surface, de baisser le coût fixe de production.
B ) Que fait-on sur cette ferme aujourd’hui ? De la culture intensive : du blé et du colza.
Mr Vandame a arrêté les petits pois, car les pigeons les mangeaient. Il a démarré les féveroles. En 1998, il y a eu plus de 600 000 francs de dégâts en culture dus aux pigeons, et la DDA n'a pas donné l'autorisation de détruire les pigeons.
Pendant 3 ans, Mr Vandame a eu des contrats de semences de régra et de fétuc (sert en jardinerie pour faire du gazon). Il a ensuite arrêté, parce que la récolte prenait beaucoup trop de temps : comme il n'a qu'une machine pour deux exploitations, il ne pouvait pas se permettre de l'immobiliser pendant deux jours pour une petite surface.
Aujourd'hui, Mr Vandame n'est pas certain d'avoir fait le bon choix car ce qu'il fait aujourd'hui n'est pas rémunérateur.
C ) La pharmacie de la ferme : les engrais et les produits phytosanitaires représentent un peu plus de 300 000 francs. Ces produits servent à l'agriculture intensive.
II ) Problèmes généraux de l'agriculture :
installation, rémunération, mécanisation et
industrialisation.
Réflexion de Mr Raymond Leduc,
membre de la Confédération
paysanne : à l'époque, il y avait des valeurs
sûres,
le blé par exemple , qui était à 140 francs le
quintal.
Par ailleurs, l'agriculture était toujours en croissance. Il y a
20 ans, l'exploitation industrielle pouvait apporter une réponse
à ce type de ferme. Aujourd'hui on découvre que des
petits
ateliers de production arrivent à dégager des revenus.
La question qui peut se poser, est la suivante : peut-on lier
l'agriculture
à la finance ?
Les agriculteurs se sont fait prendre en main par la finance. Ils ont
droit à des subventions mais sur des hypothèques de
famille.
Avant, l'exploitation agricole se transmettait sur des faits naturels,
sans logique capitale. Il faudrait, du fait qu'il y a un
problème
foncier sur cette ferme, un statut paysan; un droit au travail. La
propriété,
seule, n'est pas une réponse.
Le problème avec l'exploitation céréalière,
c'est qu'elle fonctionne avec la chimie, alors que par exemple, la
production
animalière peut fonctionner avec la chimie, mais peut être
aussi en rupture.
On peut citer en exemple, des gens qui vont avoir une production
laitière
avec un quota laitier même important de 600 000 litres, et qui
vont
avoir des difficultés financières parce qu'ils sont dans
l'obligation de faire ces 600 000 litres de lait de quotas avec un
minimum
de vaches. Les vaches doivent être rentables. Donc des vaches qui
doivent tourner autour de 10 000 litres, c'est un raisonnement
industriel.
A la Confédération, il y a l'exemple d'une personne, un
des
porte-parole de la Confédération, qui est en rupture avec
ce système. Il est retourné à la production
à
l'herbe, c'est à dire, qu'au lieu d'avoir une exploitation, il
va
tourner à 5 000 litres, et va vivre avec 130 000 litres de
quotas
laitiers.
En céréales, c'est moins évident. On arrive
à
capter qu'il y a des fermes de 70 ha, qui dégagent un revenu de
11 000 francs par mois, mais avec une mécanisation moins
chère.
Il y a un moment où on s'aperçoit que la
mécanisation
n'est plus une réponse, de même que l’exploitation
industrielle
n'en est pas une.
Explication de Mr Vandame : aujourd'hui, un hectare de blé
rapporte
1000 à 1500 frs, sachant que l'on a une subvention de 2000
frs/ha
pour faire du blé. Dans une année normale, avec des
coûts
normaux (ce qui n'est plus jamais le cas), la ferme dégage en
bénéfice,
après rémunération de sa femme et lui, entre 100
et
250 000 francs.
Pour faire ce bénéfice, ils touchent 600 000 frs de
subventions.
Ainsi, s'il n'y a pas de subventions, ce n'est plus la peine d'aller
travailler.
L'agriculteur est donc devenu un fonctionnaire. Il regrette d'avoir
choisi
ce métier, ne réussit à en vivre qu'en faisant des
demandes de subventions.
L'aide de l'Etat à l'installation du jeune agriculteur est une
hypocrisie : quand un agriculteur s'installe, l'Etat lui fait un
prêt
bonifié à 3,9% d'intérêt, et il doit monter
une étude pour l'installation. Or, faire l'étude vaut
plus
de 6 000 francs. L'aide est fractionnée en deux.
L'Etat donne 15 000 francs au départ, et au bout de 5 ans, le
jeune doit donner tous les comptes (si on est encore dans les clous,
ils
donnent les autres 15 000). Les Vandame n'y ont pas eu droit, car les
trois
premières années, ils ont eu une bonne vente de produits,
et fait exploser les rendements. Donc l'aide de l'Etat c'est du pipeau.
III ) La Culture intensive :
La Culture intensive, c'est un peu comme une formule 1. Si vous avez
un bon moteur, de bons pneus et de mauvaises plaquettes, vous n'allez
pas
au bout.
Si en culture intensive, pour le blé, vous mettez l'engrais,
le désherbant, mais pas le fongicide ou l'insecticide, vous
n'arrivez
pas au bout non plus.
A ) LE BLE1 ) Semence, récolte et stockage:
En ce moment, en février/mars, la machine est toujours dehors, car on désherbe le blé qu'on n'a pas pu désherber en automne. On vient d'apporter le 2ème apport d'azote. Le problème du fractionnement des apports d'azote, c'est que par exemple, s'il vient 60 mm d'eau après un premier apport, lorsqu'on fait le deuxième apport, l'azote brûle; le désherbant a brûlé les plantes, à cause des trop grandes amplitudes de température.
Autre problème : quand l'épi atteint 6 à 7 mm, on intervient avec un raccourcisseur pour limiter la longueur entre le 1er et le deuxième nœud.
C'est le traitement qu'il ne faut pas louper, sinon le blé monte, et s'il y a des orages, il se couche, et dans ce cas il y a une perte très forte de protéines et de poids.
Quand on récolte le blé, on va très vite, les journées sont importantes. On démarre très tôt le matin, parfois à 2/3 heures, car on a trois semaines pour tout récolter.
Nous pouvons stocker 250 tonnes de blé dans des silos de stockage : il y en a 2 de 50 tonnes, 3 de 30 tonnes et un autre de 40 tonnes. Dans une autre grange, existe un autre système de stockage, avec 4 silos de 50 tonnes.
Problème : le stockage est très limité : on n'arrive pas à stocker la totalité, ce qui est dramatique, car à la moisson, on remplit les silos et ensuite on ne peut garder le reste, il faut donc que ça parte au fur et à mesure. On le met donc en dépôt à la coopérative ou chez les négociants. Le problème, si le blé est chez le négociant, on ne peut pas le reprendre, car dans ce cas, il le facture à 6 francs le quintal. On n'est plus en position de force pour les prix auxquels les négociants le vendent.
2) Problème du prix du blé :
Le blé représente un marché volatile, (le plus volatile est le colza qui est très difficile à stocker. Il faut qu'il soit très propre, qu'il n'y ait pas de vermillon (une tête de marguerite par exemple). S'il y en a plusieurs, il se met à chauffer tout de suite.
A la moisson, on a appelé le négociant pour savoir le prix. Il ne le connaissait pas, il a donc proposé de lui vendre 50 francs le quintal. Finalement le négociant a accepté de le prendre à 60 francs le quintal, et le blé est parti à 72 francs.
Autre exemple : en 2001, la boulangère a eu 3 augmentations de farine, or les agriculteurs n'ont pas arrêté de voir chuter le prix du blé. Comme il a plu toute l'année, on a dit à Mr Vandame que son blé ne valait rien, et qu'il valait mieux prendre le blé des Anglais, car il avait moins d'eau et plus de protéines.
En 2002, en France, le blé avait un fort potentiel de protéines, mais les fournisseurs de pays méditerranéens ont préféré acheter en Angleterre, car le blé était moins cher, donc de moins bonne qualité.
Conclusion : on ne paie pas le blé à sa juste valeur. Il devrait valoir 120/140 francs le quintal, non 60 francs.
L'Etat n'a pas envie d'augmenter les produits de consommation courante, mais donne des subventions aux agriculteurs, et les reportent sur les impôts. Il devrait mettre des prix rémunérateurs chez les paysans. Il suffirait de baisser la TVA de 1% à la consommation sur les produits agricoles, et on augmenterait de 20% les produits agricoles, mais l'Europe est liée par des accords internationaux. L'OMC est devenue une dictature dont l'Europe est prisonnière.
B) FEVEROLES, ET PROBLEME DES PROTEINES VEGETALES / ANIMALES :Les féveroles apportent la protéine végétale dans l'alimentation des animaux. On ne peut pas faire du soja en France, il n'y a pas assez de soleil. On a arrêté les protéines animales dans l'alimentation des vaches, mais pour les remplacer par quoi ? Par du soja importé des USA, et qui peut donc être du soja OGM.
L'importation de protéines :
Globalement, l'Europe exporte 5 millions d'hectares de céréales sur le marché, et on a 4 millions d'hectares de jachère. On importe, et c'est plus grave, 16 millions d'hectares de protéines.
Il faudrait remplacer 5 millions d'hectares de céréales par 5 millions d'hectares de production de protéines, a à condition que le marché de la protéine soit protégé par des accords internationaux.
IV ) PROBLEME DES OGM DANS LA CULTURE INTENSIVE :
Le problème qui se pose
déjà
et se posera de plus en plus, ce sont les OGM. Nous sommes sur un
marché
mondial. Or aujourd'hui, les OGM sont autorisés aux Etats-Unis.
Prenons le cas du maïs. Aujourd'hui pour désherber le
maïs,
on dépense un peu plus de 300 francs l'hectare. Aux Etats-Unis,
ils ont du maïs résistant à ce produit
désherbant,
et cela leur coûte 30 francs l'hectare. Ils amènent donc
du
maïs sur le marché, avec une économie de 270 francs
par rapport aux français. La réaction des
céréaliers
va donc être d'en vouloir aussi.
Par exemple, il y a le problème de cet insecte arrivé
par avion, auquel seul le maïs OGM résiste. On ne sait pas
trop où on va, les scientifiques ne savent pas. Au Canada par
exemple,
le colza bio est mélangé avec du colza OGM. Il n'y a plus
de variété pure, c'est irréversible.
V ) L'AGRICULTURE BIOLOGIQUE :
A ) Le choix du bio : La plupart des agriculteurs bio ont choisi cette voie, soit parce qu'elle représente un idéal, soit en fonction du potentiel de la terre, parce qu'ils avaient des terres qui ne valorisaient pas la culture intensive.
Par exemple : un type qui a une terre avec plein de petits galets, à chaque fois qu'on met le produit, il tombe sur les galets, la terre n'en profite pas. Il est donc normal que ce type choisisse l'agriculture bio par rapport au potentiel de sa terre.
B ) Le prix du bio :
On pense généralement qu'en bio, il y a moins de produits, mais qu'on les vend plus cher. Or ce n'est pas forcément le cas, car les producteurs bio sont exploités par les grandes surfaces.
Exemple : les grandes surfaces achèteront du lait bio moins cher au producteur bio que du lait conventionnel aux grandes marques comme Nestlé et Danone à cause de leurs pressions.
Mr Vandame ne veut pas passer au bio pour retomber dans le système. Il veut vendre directement au consommateur.
VI ) LA POSITION DE Mr VANDAME FACE A L'AGRICULTURE BIO
Mr Vandame est un agriculteur aux
méthodes conventionnelles.
Pour faire du bio, il lui faut endosser deux casquettes. Le bio
l'intéresse,
mais à condition d'avoir un partenaire. Or, s'il emploie un
salarié,
il ne faudrait pas que cette activité devienne quelque chose que
l'on puisse régulariser dans un temps de travail. Il faut qu'il
y ait un temps de travail, mais aussi une part de
responsabilité.
La solution serait un jeune qui soit passionné par ce projet. Ce
n'est pas la peine de faire du bio si c'est pour le vendre sur Rungis.
Mr Vandame veut faire de la vraie écologie, pas de
l'écologie
partisane. Pour lui, l'agriculture industrielle ne répond plus
à
un revenu à la valeur du travail pour l'agriculteur. Elle
représente
un échec. Grande culture = grande contrainte.
Pour l'AMAP, Mr Vandame dit avoir trouvé la solution, qui serait
de s'associer avec un maraîcher. Il dit avoir trouvé la
solution
pour le maraîcher cherchant des terres; une solution pour le
consommateur,
mais n'a pas trouvé de solution pour lui-même. Pour
l'instant
il ne peut arrêter les céréales avec un tel taux
d'endettement.